Le design en quête de légèreté

Un maximum de services, avec  un minimum de matière, c'est l'idée-phare qui préside à la conception  du projet de dirigeable Manned Cloud abritant un hôtel de Jean-Marie Massaud.

En matière de design, si le XXIe siècle devait se résumer à un seul défi, ce serait incontestablement celui de la légèreté. Il suffit par exemple de se pencher sur la start-up Expliseat dont le siège en composite de carbone et titane s'attire les faveurs de compagnies aériennes du monde entier. "A l'heure où le kérosène équivaut à 40 % du prix d'un billet d'avion, nous avons imaginé des sièges pesant 4 kg contre 12-13 kg pour un modèle classique. Cela permet d'économiser 400 000 $ par avion de ligne et par an !", s'emballe Jean-Charles Samuelian, cofondateur, qui confirme la livraison des premiers sièges à Air Méditerranée dès juin.

Ce n'est pas un hasard si Air France a commandé à Jean-Marie Massaud, le chantre de la légèreté dans le design de mobilier, la réalisation de 50 pièces pourses services à bord, du chariot au seau à champagne. "Alléger, c'est le sens du progrès ; nous nous inscrivons dans une quête de réduction de matière au service d'une augmentation des compétences. Aujourd'hui, la légèreté n'est plus synonyme de précarité ou de fragilité, comme en témoignent les voiliers de l'America's Cup", tonne le designer qui, à ses débuts, dessina O'Azard, une chaise en plastique évidée (Magis) et Manned Cloud, un concept d'hôtel logé dans un dirigeable. "Notre société est en surconsommation de matière. A l'avenir, nous allons devoir partager des ressources de moins en moins nombreuses avec un nombre croissant d'êtres humains", justifie-t-il.
Un maximum de services, avec  un minimum de matière, c'est l'idée-phare qui préside à la conception  du téléphone ePure de Swissvoice.
"LESS IS MORE"
Le designer français travaille, comme d'autres spécialistes, sur la légèreté en tant que système global, de l'emballage à plat (Ikea) au poids des composants, en passant par un processus de réalisation simplifié impliquant des structures moins lourdes. C'est ce dernier axe qui passionne le designer anglais Benjamin Hubert."Utiliser moins de matériaux pour obtenir le même confort. Je garde constamment à l'esprit cette problématique : quel impact as-tu sur le monde qui t'entoure ? Cela a nécessité de nombreuses recherches techniques", détaille ce jeune trentenaire qui a dessiné, pour l'éditeur canadien Corelam, Ripple, la table en bois la plus légère du monde (2,5 mètres de long et 1 mètre de large pour un poids total de 9 petits kilos).
Cette quête aujourd'hui poussée à son paroxysme a mûri tout au long du XXe siècle. Le passage du bois au tube de métal effectué par Charlotte Perriand (1903-1999) a permis au mobilier moderniste de gagner en poids et en résistance. De même, le héraut du Bauhaus Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) en a tiré son célèbre précepte "Less is more". Mais la plus belle réussite dans ce domaine remonte au début des années 1950 : l'architecte et designer milanais Gio Ponti (1891-1979) réussit à développer une chaise fonctionnelle, résistante et esthétique pesant moins de 2 kg. Aujourd'hui encore, la Superleggera (Cassina) demeure une référence.
Un maximum de services, avec  un minimum de matière, c'est l'idée-phare qui préside à la conception de la table Ripple de Benjamin Hubert.
En France, c'est Marc Berthier qui a fait de la légèreté son credo depuis plus de quarante ans. "Economiser de la matière et de l'énergie par l'intelligence, c'est le défi de notre époque, justifie-t-il. Pour cela, je m'inspire des planeurs, du parachutisme ou des cerfs-volants. Et je cherche à procurer un maximum de services avec un minimum de matière", soutient celui qui a baptisé son agence EliumStudio. Pour lui, légèreté rime avec miniaturisation, liberté, mobilité, modernité, écologie... Des valeurs qui se traduisent par les sièges Elisa (Knoll) et Captain Hook (Lexon), mais aussi le téléphone ePure (Swissvoice) évidé, épuré et stylisé.
"Il y aura l'âge des choses légères", prédisait en 2003 le designer Thierry Kazazian dans son ouvrage du même nom (éd. Victoires). Cette révolution est aujourd'hui rendue possible par des matériaux nouveaux tirés des dernières avancées technologiques. Les objets contemporains utilisent de plus en plus de ces nouvelles fibres tissées qui allègent sans céder sur la résistance. Dans cette catégorie, comment ne pas citer le Femur stool d'Assa Ashuach, présenté l'an dernier au London Design Festival. Ce tabouret a été élaboré en utilisant un algorithme informatique qui reproduit la forme et la résistance d'un fémur humain avant d'être imprimé grâce à la technique du frittage sélectif par laser.
Le tabouret Femur Stool de l'Assa Ashuach studio compte parmi ces objets épurés dont la réalisation a été rendue possible  grâce à des matériaux  innovants, notamment de nouvelles fibres tissées.
"Hélas, souvent, travailler sur l'allégement du poids dans le mobilier coûte cher car nous sommes encore en phase de recherche. Il faut donc trouver des modèles économiques qui fonctionnent et qui s'appliquent déjà sur des marchés spécifiques comme le yachting, l'aérien ou l'automobile. Cela se révèle crucial pour les véhicules électriques qui peuvent gagner là en autonomie. S'appuyer sur d'autres univers permet en plus de faire émerger de nouveaux modèles en design", conclut Jean-Marie Massaud, qui vient de dessiner le concept-car ME.WE (Toyota) dont la carrosserie ne pèse que... 14 kg.