Fontainebleau : le faste retrouvé du Théâtre impérial

Le Théâtre impérial de Fontainebleau ( Photo :  Gilles Coulon).

Témoin exceptionnellement préservé des fastes de la cour de Napoléon III, la salle du théâtre impérial du château de Fontainebleau vient de connaître une restauration exemplaire.


Il est des lieux magiques, où le temps s'est arrêté. Le théâtre du palais de Fontainebleau est l'une de ces troublantes machines à remonter le temps. Construit à la hâte par Hector Lefuel, l'architecte qui, quelques années plus tard, allait mener l'énorme chantier de l'achèvement du Louvre, il fut inauguré en 1857. Ce petit théâtre de 430 places remplaçait la salle dite de la Belle Cheminée, en usage depuis l'époque de Louis XIII. Sitôt délaissée, celle-ci fut détruite par un incendie. Par crainte du feu, grand dévorateur de salle de spectacles, les représentations du nouveau théâtre se donnaient en présence d'une brigade entière de sapeurs-pompiers. Il n'y en eut qu'une quinzaine... et le théâtre s'endormit. Tout y était conservé, la salle blanc et or inspirée du petit théâtre de Marie-Antoinette à Trianon, avec ses sculptures en carton-pierre, ses soieries bouton d'or, son mobilier néo Louis XVI, son plafond peint ; la scène avec sa machinerie, ses décors ; les salons de l'empereur, de l'impératrice et de leurs invités ; et encore le foyer et les loges des artistes, avec leur papier peint d'origine. Sans oublier la fosse d'orchestre, ses tabourets et ses pupitres. Tout y était conservé, mais dans un état d'extrême fragilité. La première tranche de restauration qui s'achève a porté sur la salle et ses abords, et sur le salon de l'empereur. Elle a été pilotée par l'Opérateur du Patrimoine et des Projets immobiliers de la Culture(Oppic) agissant en tant que maître d'ouvrage délégué. Son financement, 5MEUR, a été assuré par un mécénat exceptionnel dans le cadre de l'accord signé entre la France et les Émirats Arabes Unis pour la création du Louvre Abu Dhabi. Le théâtre porte désormais le nom de Son Altesse le cheikh Mohamed Bin Zayed Al Nahyan, prince héritier d'Abu Dhabi.
Un théâtre construit en un an
La fragilité du théâtre tient d'abord aux conditions dans lesquelles il a été construit, en un an seulement, dans l'aile Louis XV des appartements. « Pour installer le théâtre dans cette aile, Lefuel a démoli tous les murs de refend, ne gardant que l'enveloppe des murs extérieurs », explique Patrick Ponsot, architecte des Monuments historiques chargé de la restauration des structures et des décors immobiliers. « Or le théâtre était mal raccordé au bâtiment du XVIIIe siècle. Par ailleurs, la charpente de bois et de métal remployait certains bois du XVIIIe siècle qui avaient pris l'humidité, cette aile inachevée étant restée sans fenêtre jusqu'au XIXe siècle. Il a fallu extraire les bois contaminés par la mérule, et traiter les murs. » Des tirants reliant les murs extérieurs ont permis de rendre une cohésion à l'ensemble. Le théâtre de bois, de fer et de plâtre a été solidement arrimé à son enveloppe de pierre. Dans la salle, l'étage de la corbeille où se trouve la loge impériale, a été repris en sous-oeuvre, afin de maintenir en place le décor textile de soieries et la moquette. L'arc de scène, structure de bois et de fer un peu « bricolée », était défaillant. Il a été consolidé ponctuellement. Ce travail de haute couture a évité un démontage complet, trop radical. Les couvreurs du Second Empire s'étaient débarrassés de leurs gravats sur le plancher surplombant le plafond de la salle, un amas qui non seulement pesait sur la structure mais agissait comme une éponge, concentrant l'humidité provoquée par le défaut d'étanchéité des toitures. En conséquence, la toile du plafond peint par un certain Voillemot, une Allégorie de la Musique et de laPoésie entourées d'Amours voletant dans les nuages, pendait par lambeaux. Elle a retrouvé la fraîcheur de ses roses et de ses bleus pâles. Miraculeusement préservé dans son état Second Empire, le théâtre a fait l'objet d'une « conservation restauration » qui a permis de maintenir l'intégralité des décors et des dispositifs d'origine. En accord avec les sapeurs-pompiers, il a été décidé de ne pas mettre en place le rideau de fer qui crée une séparation étanche entre la salle et la scène en cas d'incendie. Quant au système de désenfumage, il a pu être installé de façon invisible en utilisant les aérations ménagées tout autour du plafond pour évacuer la fumée du grand lustre. La modernisation et la remise aux normes de sécurité du théâtre, dans le but d'en faire une salle de spectacle capable de fonctionner normalement, aurait conduit à détruire tout ce qui en fait le charme et aussi la valeur documentaire. À l'issue de la restauration, dont les tranches suivantes ne sont pas encore financées, c'est un véritable conservatoire des arts de la scène au XIXe siècle que pourra admirer le public. Une dizaine de représentations pourront y avoir lieu chaque année, forcément coûteuses car elles supposent notamment le déménagement de tous les sièges dont les garnitures d'origine ne supporteraient pas le poids de nos modernes postérieurs...
1660 mètres de damas de soie
Tous les meubles et le décor mobilier ont également été nettoyés et restaurés sous la direction de Vincent Cochet, conservateur du patrimoine. Les panneaux de tissus, capitonnés pour certains, les moquettes, les garnitures de sièges ont été aspirés et « gommés », les manques comblés. « Un projet de restauration du théâtre élaboré dans les années 90 prévoyait de retisser 1660 m de damas jaune, nous n'en avons fait retisser qu'une trentaine de m », précise Vincent Cochet. En revanche, il a fallu remplacer le velours bleu des banquettes du parterre, rongé par la teinture chimique employée au XIXe siècle, ainsi que la moquette à grandes fleurs dudit parterre : un lieu humide laissé 150 ans sans chauffage n'est pas l'ami des tapis ! L'éclairage particulièrement réussi combine halogènes et leds, permettant de recréer une ambiance proche de l'éclairage d'origine qui alliait les bougies, pour leur côté « Ancien Régime », et les lampes à huile mécaniques dites Carcel, pour leur efficacité. Le grand lustre doré de la salle, tombé en 1926 (il n'avait alors blessé que quelques banquettes), gisait en pièces détachées dans les réserves. Une enquête minutieuse a permis de lui rendre son apparence, et de reconstituer les cristaux perdus. Le même soin dans la reconstitution a été porté aux simples lanternes de fer battu qui éclairent les couloirs. Elles ont retrouvé leurs lampes à réflecteur. Aujourd'hui, le public admis à voir le théâtre dans le cadre d'une visite guidée sur le thème du Second Empire, emprunte le trajet des souverains depuis les grands appartements. Au bout de l'immense corridor de l'aile Louis XV, une porte s'ouvre sur un escalier descendant vers un vestibule drapé de sombres tentures. Une autre porte s'ouvre, et c'est l'éblouissement. Nous sommes dans le foyer de l'empereur, avec ses murs de soie jaune « boutonnée » et sa coupole octogonale décorée au pochoir. Quelques pas encore et nous arrivons dans la loge où prenait place le couple impérial. Si le mot de « magie » a encore un sens, alors il s'applique ici.